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Claude MALHURET : Débat relatif au Grand Débat National

10 avril 2019


Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, relative au Grand débat national, en application de l'article 50-1 de la Constitution


Monsieur le Président,

Monsieur le Premier Ministre, Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mes Chers Collègues,

J’ai l’impression d’avoir plus appris au cours de ces six derniers mois qu’en 30 ans de vie publique. Pour tout dire, j’ai aussi entendu plus d’âneries en six mois qu’en 30 ans. Et pourtant depuis 30 ans nous en avons tous entendu pas mal.

Si, comme disait Talleyrand, la politique est l’art d’agiter les peuples avant de s’en servir, alors nous avons pris une grande leçon de politique de quelques gouverneurs de ronds-points qui ont réussi à transformer en fureur la colère de quelques dizaines de milliers de personnes et à leur faire croire qu’ils sont à eux seuls le peuple français.

Il ne reste plus aujourd’hui dans les rues le samedi que quelques acharnés d’un mouvement sans but et sans programme, zigzagant le long des boulevards comme des canards décapités, s’enivrant de selfies sur fond de poubelles en feu en répétant « On ne lâche rien », sans qu’on sache d’ailleurs ce qu’ils tenaient.

Le spectacle est navrant et pourtant beaucoup d’inquiétudes sont réelles. L’objectif du grand débat, si j’ai bien compris, est d’y répondre.

Sa principale vertu, c’est qu’il a remplacé les révoltés des braseros, plus centrés sur eux-mêmes qu’un trou noir et refusant tout dialogue, par des élus locaux et leurs concitoyens dans les mairies et ceux-ci ont un immense avantage : ils n’ont pas honte d’employer, deux mots qu’on n’avait pas entendus jusque-là : l’intérêt général, même s’ils l’ont fait timidement. Pour parler en termes freudiens, les gilets jaunes c’était le ça, le grand débat c’est l’ébauche du surmoi.

Mais l’ébauche seulement, car il reste la profusion et la dispersion des milliers de contributions écrites ou orales. Il reste le fait que beaucoup de propositions entraîneraient un résultat terriblement français : l’explosion des dépenses publiques. La conclusion du grand débat, c’est un peu une lettre au Père Noël, et si le Président ne veut pas passer pour le Père Fouettard, il va devoir réussir à expliquer que la différence entre le grand débat et le gouvernement, c’est que le gouvernement ne peut s’affranchir du réel.

Et le réel, c’est que nous sommes les champions du monde de la dépense publique et des prélèvements obligatoires.

Emmanuel Macron l’avait expliqué lors de la campagne de 2017, tout comme d’ailleurs son adversaire de la droite républicaine. Ni le constat ni les remèdes n’ont changé depuis. Ils s’appellent réforme des retraites, la vraie, de la fonction publique, de l’assurance-chômage, du code du travail, de l’éducation et de la formation, de l’urgence climatique, etc... Si l’issue du grand débat devait être de l’oublier, de céder à tous ceux qui demandent entre guillemets « des annonces fortes », c’est-à-dire en clair encore plus de dépenses, alors tout est perdu. En un mot, le Président a promis d’entendre le grand débat, et c’est heureux, mais il va falloir aussi, pour une part, qu’il lui résiste. Et qu’il résiste d’abord à la désespérante tendance de ce pays à tout attendre de l’Etat, ce qui ne conduit ni à l’optimisme ni à l’initiative. Pour preuve, les enquêtes qui nous apprennent qu’une majorité de jeunes français ont peur de l’avenir, ce qui n’est jamais arrivé nulle part dans l’histoire, pourtant infiniment plus ingrate envers toutes les générations qui nous ont précédés qu’envers la nôtre. Ce ne sont pas les temps qui sont devenus plus durs, c’est nous qui nous sommes amollis.

Il y a un autre sujet sur lequel il va nous falloir résister tous ensemble : ce sont les nuages qui s’amoncellent sur notre démocratie.

Les populistes ont tous un point commun, ils prétendent toujours démocratiser la démocratie, rendre le pouvoir au peuple et chasser les élites responsables du mal.

Le problème n’est pas français, il est global. La crise des gilets jaunes est la version hexagonale d’un péril qui s’appelle ailleurs Brexit, Salvini, Erdogan ou Bolsonaro. Cette crise est triple : celle de la représentation, celle de la montée de l’impuissance publique et enfin celle du déficit de sens. Elle frappe toutes les démocraties et réjouit les dictatures qui savourent déjà leur revanche.

Elle est aggravée par une technologie numérique dont nous pensions qu’elle serait un formidable outil de dialogue, de transparence, d’information et de raison et qui s’est révélée un redoutable instrument d’intolérance, un cauchemar orwellien dans les pays totalitaires et un déni de la vie privée chez nous, le plus grand vecteur de désinformation jamais inventé et le porteur du pire de l’émotion et de l’indignation.

« Nul ne ment autant qu’un homme indigné » disait Nietzsche. Et nous sommes aujourd’hui atteints d’indignationnisme.

Et c’est le moment où certains, Monsieur le Premier Ministre, vous demandent de remplacer la démocratie représentative par la démocratie directe.

Parce qu’on peut aujourd’hui se procurer d’un clic un costume, une voiture d’occasion ou même un partenaire d’un soir, certains pensent qu’on peut faire la loi ou révoquer le Président en un clic. Ils ne voient pas que cette démocratie directe-là, c’est ce que nous avons sous les yeux depuis six mois, la démocratie des réseaux antisociaux, avec, au nombre de followers, FlyRider comme Président. « La foule est traître au peuple » disait Victor Hugo et la démocratie directe proposée par les populistes est le triomphe de la foule. Nous voyons bien déjà que derrière le masque avenant du référendum d’initiative citoyenne se cache le visage plein de ressentiment du référendum révocatoire.

Je comprends que l’on souhaite une démocratie plus participative, dans cette Vème République si … comment dire … Jupitérienne. Et il va nous falloir trouver un équilibre. Mais ce n’est pas au moment où tout semble glisser, déraper, devenir incontrôlable, qu’il faut affaiblir la démocratie représentative. Entre Montesquieu et Tocqueville d’un côté, Drouet et le boxeur du Pont des Arts de l’autre, je choisis les premiers, même s’ils n’ont pas d’amis sur Facebook.

Ceci m’amène à la réforme constitutionnelle. Le dégagisme a contribué à l’élection du Président de la République. Il en a joué, comme les autres candidats d’ailleurs, en promettant de dégraisser le Parlement. Promesse étonnante quand on sait que la France compte deux fois moins de parlementaires par habitant que la moyenne européenne, personne n’a dit cette vérité aux français pendant le grand débat, sinon l’approbation serait peut-être moins massive.

Mais c’est une promesse de campagne et il est logique de s’attendre à ce que le gouvernement veuille la tenir. Le Président du Sénat l’a bien compris, qui avait accepté le verdict des urnes avec discipline républicaine et avec fermeté en disant au Chef de l’Etat que le Parlement était prêt à envisager un plan social, mais pas une hécatombe. Ils n’étaient pas loin de toper.

Récemment, j’ai cru comprendre que les relations du Sénat et de l’exécutif s’étaient… rafraîchies. Je crois que nous sommes tous assez expérimentés pour faire notre examen de conscience réciproque afin d’éviter une guerre qui, en ces temps de bashing des élus, ne ferait que des victimes. En ce qui me concerne, je vous avoue que je n’ai pas été transporté par le signalement de hauts fonctionnaires à un procureur. Mais d’un autre côté, Mesdames et Messieurs les Ministres, ce n’est tout de même pas la faute du Sénat si Monsieur Benalla est le seul éléphant au monde qui se promène avec son propre magasin de porcelaine.

Il faut sortir de cette crise qui fait tant de mal à la France et à son image. Et ce sera difficile parce que nous avons tous compris que le dégagisme ne s’adresse pas qu’aux parlementaires, mais à toute la classe politique, Président compris, à toute l’administration, haute ou pas et même pour la première fois jusqu’à certains élus locaux. Il faut en sortir ensemble, sans démagogie et sans faiblesse, car sinon c’est ensemble que nous serons balayés par les démagogues et les faibles. Par tous ceux qui combattront les réformes courageuses dont la France a besoin et qui soutiendront celles qui continueraient de nous faire plonger.

C’est le défi qui nous attend.


Interventions au Sénat

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