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Claude Malhuret : Commémoration de la séance inaugurale de l’Assemblée consultative provisoire, le 9 novembre 1944

7 novembre 2024

Commémoration, dans l'hémicycle, de la séance inaugurale de l’Assemblée consultative provisoire, le 9 novembre 1944



Monsieur le Président,

Monsieur le Premier Ministre,

Madame la Vice-Présidente de l'Assemblée nationale,

Mes chers Collègues,


Le premier enjeu d'une commémoration, c'est de tirer la leçon des événements que nous commémorons. C'est ce que faisait le 9 novembre 1944, le Général de Gaulle en résumant les années tragiques qui ont précédé la libération de la France. "L'une des leçons des épreuves inouïes que la France traverse, disait-il, c'est la conjugaison en quelque sorte organique du désastre avec la tyrannie et du succès avec la République."


80 ans plus tard, il est à craindre que la France et plus généralement les démocraties aient oublié ces enseignements et l'aveuglement devant les totalitarismes que dénonçait de Gaulle. La victoire du nazisme en Allemagne et du communisme en URSS, la remilitarisation allemande, l'Anschluss, l'invasion des Sudètes, le pacte germano-soviétique, et en face des dirigeants incapables de comprendre la montée des périls, et, pour ceux qui l'avaient compris, incapables de convaincre leur peuple qu'il fallait les combattre tant qu'il était temps.


Ils avaient une excuse, ils étaient confrontés pour la première fois à l'essor des régimes totalitaires, et pire encore, à leur improbable alliance. Nous n'avons plus cette excuse. Et sous nos yeux, l'histoire du XXe siècle se répète au XXIe siècle. Aux totalitarismes nazi et soviétique ont succédé les dictatures russe, chinoise, nord-coréenne et iranienne. Au pacte germano-soviétique l'alliance de ces quatre tyrannies.


À l'Anschluss, aux Sudètes et à la Pologne répondent aujourd'hui l'invasion de la Géorgie et de l'Ukraine, les menaces sur la Moldavie, sur Taïwan et toute la mer de Chine, les appels à la destruction d'Israël. À l'obsession d'Hitler et de Staline de détruire par tous les moyens l'ordre démocratique, fait suite la guerre ouvertement déclarée par les despotes d'aujourd'hui au monde de paix, de liberté et de prospérité instauré par les démocraties en 1945.


Aux cinquièmes colonnes qu'étaient les partis communistes et fascistes d'entre-deux-guerres en Europe, ont succédé les populismes d'extrême-droite et d'extrême-gauche, ouvertement alliés avec les tyrans. Ils relaient leurs activités subversives, et retournent contre les démocraties les réseaux numériques dont nous avions cru qu'ils seraient un formidable outil d'information et de communication et qu'ils ont transformés en un affrontement permanent et une menace mortelle.


À force de détester leur pays, les extrémistes finissent toujours par le trahir. Beaucoup de dirigeants affirment que nous ne sommes pas en guerre contre l'international des dictateurs, comme Daladier rentrant de Munich se félicitait d'avoir sauvé la paix. Mais il n'y a rien de plus dangereux que de croire que nous ne sommes pas en guerre contre des gens qui sont en guerre contre nous et qui le disent.


L'Europe doit comprendre l'urgence de redevenir une puissance militaire. Si nous ne l'avons pas encore compris, le résultat des élections américaines devrait enfin nous ouvrir les yeux. La prophétie du Général de Gaulle est en train de se réaliser. Il disait : "un jour, les États-Unis quitteront le Vieux Continent."


Si nous ne le comprenons toujours pas, ce n'est pas seulement l'Ukraine demain qui sera vaincue, mais la liberté. "De 1933 à 1938, les Français ont fait tout ce qui était nécessaire pour mener à la guerre parce qu'ils en avaient peur", disait Raymond Aron. Et il ajoutait : "je crois à la victoire des démocraties à condition qu'elles le veuillent." Je ne suis pas aujourd'hui certain, dans cette deuxième guerre froide qui a commencé, que les démocraties veuillent cette victoire.


10 000 soldats nord-coréens viennent d'arriver en Russie, mais les Occidentaux continuent d'interdire aux Ukrainiens d'utiliser leurs missiles pour frapper en Russie les bases d'où partent les avions et les bombes qui détruisent l'Ukraine. Alors que la dissuasion nucléaire est censée sanctuariser notre territoire et préserver notre liberté d'action, c'est au nom de cette dissuasion que nous théorisons notre inaction et que nous laissons à Poutine le monopole de la menace et de l'agression.


Nous savons pourtant que ses alliés chinois lui interdisent son emploi et que son abstention, après que les Ukrainiens aient franchi la frontière russe à Koursk, apporte la preuve que ces lignes rouges ne sont qu'un bluff.


La Deuxième Guerre mondiale, disait De Gaulle le 9 novembre 1944, "a eu pour cause la frénésie dominatrice d'un système politique, social, moral abominable, mais revêtu du sombre attrait de la puissance. Elle a trouvé pour la favoriser la dispersion des États du parti de la liberté, les divisions passionnées, les routines de tous ordres, la défaillance des élites dirigeantes."


En ce jour anniversaire, alors que les Ukrainiens meurent chaque jour par milliers pour défendre notre liberté dans une indifférence chaque jour croissante et chaque jour plus préoccupante, puissions-nous réfléchir à ces paroles prophétiques.


Je vous remercie.

 




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