4 mai 2020
Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat et d'un vote sur déclaration, en application de l'article 50-1 de la Constitution, relative à la stratégie du plan de déconfinement dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de Covid-19
Monsieur le Président,
Monsieur le Premier Ministre,
Mes chers collègues,
Déconfiner ou ne pas déconfiner, telle est la question. Je suis fasciné de découvrir que nous avons autant d’experts pour y répondre sur toutes nos chaînes de télévision.
Les grands experts, très assurés. Les petits experts, qui manquent d’expérience sur Zoom et dont on ne voit que le nez, le menton et les lunettes en gros plan. Les soi-disant experts qui répètent ce qu’ils ont entendu une heure avant sur une autre chaîne ou à la radio. Et enfin les faux experts qui lancent des craques en espérant faire le buzz.
A force de tous les regarder, j’ai découvert un théorème, que je vous propose : Plus il y a d’experts moins on comprend.
Heureusement, il reste les politiques. J’ai suivi le débat à l’Assemblée Nationale mercredi dernier, Monsieur le Premier Ministre. Il y a là-bas des virtuoses du coronavirus. Ils vous ont expliqué ce qu’il fallait faire hier, ce qu’il n’aurait pas fallu faire, ce qu’il faut faire aujourd’hui et ce qu’il faudra faire demain. Je revois encore le Professeur Mélenchon, de la Faculté de médecine de La Havane, pointer sur vous un doigt vengeur et vous lancer d’une voix de stentor : « Il y aura un deuxième pic de l’épidémie, et vous le savez ! ». Impressionnant. J’étais au bord du retweet. Devant tant de recommandations de spécialistes, je n’ose pas vous proposer les miennes, moi qui ne suis qu’un simple médecin épidémiologiste.
Je voudrais juste me borner à quelques réflexions sur certaines idées qui me paraissent fausses.
La plus absurde, c’est que le libéralisme est la cause de la pandémie. Dans ce pays où beaucoup préfèrent Robespierre à Tocqueville, où l’on préférera toujours se tromper avec Sartre qu’avoir raison avec Aron, c’est toujours le libéralisme qui porte le chapeau. Même les plus ignares des antimondialistes, des populistes et des complotistes devraient pourtant savoir, puisque même Google le dit, que Périclès, mort de la peste en 429 avant J.C. ou Saint Louis mort du même mal en 1270 n’avaient jamais ne serait-ce qu’entendu les mots de capitalisme ou de libéralisme. Le Covid n’est pas une maladie de la mondialisation, c’est une maladie tout court. Napoléon disait : « l’histoire est une suite de mensonges sur lesquels on s’est mis d’accord », aujourd’hui il dirait : « l’histoire est une suite de mensonges qui ont le plus de like ».
Il fallait trouver le responsable du complot. Au Moyen Age, c’était la colère divine, les sorcières ou les juifs. Aujourd’hui c’est la mondialisation.
La vérité est l’exact contraire. La grande nouveauté c’est que c’est la science qui est aujourd’hui mondialisée. Jamais dans l’histoire on n’a donné une réponse aussi rapide à une nouvelle maladie. Le génome du virus séquencé en une semaine. Les premiers tests produits un mois plus tard. Les essais cliniques de traitement et de vaccins déjà par centaines. A ceux qui s’impatientent il faut rappeler que les épidémies d’avant faisaient cent fois plus de morts, qu’il a fallu des milliers d’années avant que Pasteur en 1885 ne découvre le vaccin contre la rage et que Yersin n’isole le bacille de la peste. Et que c’est grâce à la démocratie libérale et à ses progrès scientifiques qu’elles ont été vaincues comme celle-ci le sera demain.
Deuxième idée qui traîne, celle des prophètes qui nous expliquent que demain rien ne sera comme avant. Mais dès qu’on les écoute on s’aperçoit que leur monde futur est celui qu’ils prêchaient avant. L’avenir radieux avec les lunettes du passé. Ils annoncent des révolutions, mais on s’aperçoit qu’ils profitent de la crise pour recycler leurs idéologies archi-décédées : mort du capitalisme, haine de la technique, décroissance, éloge du populisme, retour des frontières, nationalisme. Ils courent les télévisions pour annoncer l’avènement d’un monde nouveau, mais leur besace ne contient que la poussière du prêt à penser qu’ils ressassent depuis des décennies.
La réalité c’est que personne n’a jamais vu demain. C’est à nous de préparer l’avenir et il sera sans doute différent. Mais ce qui est certain, c’est qu’il ne ressemblera sûrement pas à un remake des thèses de Karl Marx, de Maurras ou de Malthus.
Troisième ineptie : les régimes autoritaires seraient les grands gagnants de cette pandémie car les plus efficaces. C’est le contraire qui est vrai. La cause de la maladie est le virus. La cause du drame est le régime chinois qui a caché la vérité pendant un mois. C’est pour cela qu’il y a aujourd’hui 25 000 morts en France et des centaines de milliers dans le monde.
Les seuls pays qui s’en sont bien sortis sont les quatre démocraties asiatiques, Taïwan, Hong Kong, Singapour et la Corée du Sud, qui bénéficiaient d’expériences antérieures. J’espère que personne ne va me dire : « Et la Chine ?». La Chine qui annonce 4500 morts sans avoir jamais expliqué à quoi servaient les 50 000 urnes funéraires livrées en urgence, de nuit, dans la seule ville de Wuhan. La Chine dont on ne connaîtra le nombre de morts qu’un jour lointain, comme on n’a connu les 40 millions de morts du grand bond en avant que 30 ans plus tard, à la mort de Mao.
Quant aux populistes en Occident, Trump qui restera comme le Président du « Make the virus great again », Bolsonaro qui laisse s’infecter sans protection les habitants de ses bidonvilles, et Johnson, sauvé de peu de ses propres théories sur l’immunité et dont le pays détient désormais la palme européenne des victimes.
Je préfère l’exemple de l’Allemagne démocratique. C’est bien sûr un peu irritant, ces allemands qui savent toujours où sont rangées les affaires. Mais attention. D’abord l’Allemagne nous suit de dix jours dans l’épidémie et ses chiffres montent. Ensuite les résultats allemands sont hélas beaucoup plus proches de ceux du reste de l’Europe que de l’Asie. C’est bien chez les démocraties d’Asie du Sud qu’il nous faudra chercher les exemples si nous voulons réussir le déconfinement et en tout cas pas chez les dictateurs.
Vous vous apprêtez, Monsieur le Premier Ministre, à prendre la plus grande décision de cette crise. Parce que le déconfinement sera beaucoup plus difficile que le confinement.
Vous serez tenté de le faire très prudemment. D’abord parce que dans nos régimes libéraux, qui s’attachent à rendre impossibles leurs propres décisions, les épées de Damoclès politiques, juridiques et médiatiques vous menaceront à la moindre erreur. Les sycophantes ont déjà ouvert leurs dossiers.
Mais votre Rubicon est là et vous n’avez d’autre choix que de le franchir sans trembler. Jusqu’à ce jour, entre laisser mourir des hommes et tuer l’économie, nous n’avons pas hésité et nous avons choisi le confinement. Le 11 mai, en ouvrant les rues, les maisons, les entreprises et les administrations, ne laissons personne dire que nous ferions le choix inverse, celui de l’économie contre les hommes. Au contraire. Poursuivre le confinement ou déconfiner trop timidement ferait aujourd’hui beaucoup plus de victimes. D’abord les victimes, bien plus nombreuses qu’on ne le croit, d’autres pathologies qui depuis deux mois ne se soignent plus. Ensuite parce qu’une crise économique, et celle qui vient sera l’une des pires, fait bien plus de victimes que le virus, même si le fait de ne pas pouvoir les chiffrer permettra à tous ceux qui n’ont rien compris à l’économie et qui ne l’aiment pas – ils sont nombreux en France – de vous accuser de préférer les profits à la santé de nos concitoyens.
Il faut ouvrir les portes et le faire sans hésiter. Et cela veut dire faire confiance aux français. Ils ont montré, personne ne l’aurait parié, qu’ils étaient capables aussi bien que des coréens ou des allemands, de respecter un confinement drastique. Ils ont compris les gestes, la prudence et la distanciation. Ils ont aussi compris les risques, et c’est d’ailleurs pour cela que s’ils souhaitent le déconfinement, ils le redoutent en même temps.
Il y aura des bosses sur la route, Monsieur le Premier Ministre, mais il faut prendre la route. Richelieu disait : « Il ne faut pas tout craindre, mais il faut tout préparer ». C’est la tâche qui vous attend aujourd’hui. C’est la tâche qui nous attend tous.