01 mars 2022
Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat sur cette déclaration, en application de l’article 50-1 de la Constitution, relative à la décision de la Russie de faire la guerre à l’Ukraine
Monsieur le Président,
Monsieur le Premier ministre,
Mes chers Collègues,
L’invasion de l’Ukraine pourrait bien être le premier clou sur le cercueil de la dictature de Poutine, comme l’invasion de l’Afghanistan fut le premier clou sur le cercueil de l’Union Soviétique.
Poutine est fou comme le sang est rouge. Ce n’est pas une insulte, c’est un diagnostic. Le discours sépulcral du 21 septembre ne laisse aucun doute. Un paranoïaque doublé d’un mythomane. Plus il élimine toute contradiction, plus il échappe à la réalité, au profit de son idée fixe et funeste, se venger de la chute de l’URSS. Comme beaucoup de dictateurs, ce Caligula botté souffre d’une autre infirmité. Ceux qui ont découvert stupéfaits la taille grotesque de la table où il recevait notre Président ont cru à une manœuvre pour l’humilier. Les réunions ubuesques avec ses ministres à 20 mètres révèlent la vérité : le COVID le terrorise. Néron se faisait raser par ses filles de peur d’être égorgé, Staline faisait goûter ses aliments, lui, chef de la deuxième force nucléaire au monde, qui se fait filmer dans des fausses chasses à l’ours, pétoche devant le virus comme un matamore fuyant devant une souris. En face de lui, un homme, debout, Zelensky.
Lorsqu’on ignore la réalité, elle se venge. Il voulait diviser l’Europe, il la cimente. Ridiculiser l’OTAN, il la retrempe. Humilier les États-Unis, il ressuscite Biden après Kaboul. Rallier à lui les régimes autoritaires, la Chine s’inquiète, la Turquie montre les dents, le Kazakhstan refuse l’envoi de ses soldats. Il pensait prendre l’Ukraine en trois jours, il est embourbé pour longtemps.
Confiné dans son bunker, il n’a pas vu le monde changer. Il se croit au temps où ses complices du KGB et du Politburo mataient par des chars la Hongrie ou la Tchécoslovaquie et où lui-même rasait Grozny à l’abri des caméras. Il n’a pas compris que les images des smartphones font le tour du monde en une seconde et qu’en 2022 personne, pas même les russes, n’est prêt à accepter les bombardements de Kiev et les morts.
S’il en est arrivé là, c’est en partie à cause de nos propres lâchetés. L’invasion de la Géorgie, l’annexion de la Crimée, le Donbass, la Transnistrie, les crimes contre l’humanité en Tchétchénie ou en Syrie, les centaines d’assassinats et les milliers d’emprisonnements en Russie même, nous avons laissé faire. Quelques discours à l’ONU sur les droits de l’homme et le droit international et puis circulez, y a rien à voir.
Ce n’est pas seulement par lâcheté que nous n’avons rien fait, c’est parce que les démocraties ont en leur sein une cinquième colonne, le plus souvent soudoyée par le Kremlin, qui reprend mot à mot sur les réseaux antisociaux, avec les milliers de faux comptes, de trolls et de bots pilotés depuis Moscou, sur les radios et télés RT, Sputnik et hélas d’autres, la propagande de Poutine : l’Ukraine n’existe pas, elle est dans la sphère russe, ses dirigeants sont des nazis.
Wladimir Zemmour, Joseph Vissarionovitch Mélenchon et Anastasia Le Pen sont depuis longtemps les généraux en chef de cette cinquième colonne, mais leurs dernières déclarations atteignent des sommets. Mélenchon le 18 janvier dernier : "Qui ne ferait pas la même chose avec un voisin pareil, un pays lié à une puissance qui les menace continuellement ? ». Le Pen : « Mon point de vue sur l’Ukraine coïncide avec celui de la Russie. ». Zemmour : « Il faut arrêter de faire de Poutine l’agresseur, c’est Poutine l’agressé. Poutine est l’allié qui serait le plus fiable ».
Depuis que tout le monde a compris leurs mensonges, ils ont réinventé le « Oui mais ». Ils condamnent car ne pas le faire serait un suicide électoral, mais ils ne changent pas d’avis : tout est de la faute de l’Occident, surtout pas de sanctions et attention à la troisième guerre mondiale. Mélenchon jeudi dernier continue ses bobards : « Je n’ai jamais soutenu Poutine, jamais ». Le pire c’est Zemmour, le trois fois condamné pour racisme, qui crache sur les résistants ukrainiens et sur les réfugiés, qui donne des leçons de patriotisme, lui qui après s’être soustrait au service militaire, n’a pas hésité à se rendre samedi sur le plateau des Glières. Ses propos souillent les tombes des maquisards.
Ces paillassons de Poutine après en avoir été les caniches, sont candidats à la Présidence de la République. Ils ont condamné le dictateur du bout des lèvres, mais leurs trolls inondent les réseaux de messages à sa gloire et leurs députés européens ont refusé de voter l’aide à l’Ukraine.
Pendant des années nous avons tenté de faire comprendre qui était Poutine. Nous étions trop peu nombreux face aux idiots utiles de l’Europe, en Allemagne qui s’est mise dans les griffes de l’ours et de son gaz par l’incroyable erreur d’avoir cédé aux verts sur le nucléaire, en France ou le fond de l’air, fait d’un gaullisme du pauvre qui n’a rien à voir avec le gaullisme et d’un antiaméricanisme héritier de la vieille droite anti-anglosaxonne et de la vieille gauche anticapitaliste, conduit certains à prêcher l’équidistance entre Amérique et Russie, demain entre Amérique et Chine, sans comprendre qu’il y a d’un côté le camp de la démocratie et de l’autre celui des dictatures. Trop peu nombreux, nous étions par là-même trop faibles.
Le 24 février 2022 restera dans l’histoire comme le jour prodigieux du grand basculement. Le plus grand succès de Poutine, c’est de nous avoir ouvert les yeux. Nous nous sommes réveillés bien tard. Mais nous nous sommes réveillés.
Pour la première fois nos sanctions sont plus que des coups de griffe. Le blocage des réserves de la banque centrale, la déconnexion de SWIFT, l’arrêt de Nord Stream II, la saisie des avoirs des corrompus, la fermeture des espaces aériens, le bonheur de la livraison d’armes aux ukrainiens par l’Allemagne elle-même, mouton devenu non pas tigre mais au moins lionceau. Et enfin, enfin, la chasse aux agents de désinformation. Voilà 5 ans que je demande la fermeture de RT, de Sputnik et de leurs satellites, 5 ans qu’on me répond que ce serait bafouer la liberté d’expression. On vient enfin de comprendre que les organes de propagande du FSB n’ont rien à voir avec la liberté d’expression. Mesdames et Messieurs les dirigeants européens, permettez-moi d’ajouter à mes félicitations pour ces sanctions une supplique : qu’elles soient précises, sans exception, efficaces, non contournables et prolongées. Et surtout qu’elles soient rapides et accrues, car les résistants ukrainiens, aussi héroïques soient-ils, ne tiendront pas longtemps par leurs seuls moyens. Et enfin, qu’elles soient accompagnées du message clair, que l’assassinat de Zelensky entrainerait une riposte bien plus massive encore. Quant à la cinquième colonne, elle va se déchaîner dans toute l’Europe pour relayer les menaces du tyran et expliquer que, comme vous êtes responsables de la guerre en Ukraine, vous serez responsables demain de la troisième guerre mondiale dont Poutine brandit la menace. Pour l’heure, autre miracle, personne n'y croit. Comment penser qu’un hypocondriaque qui s’ausculte toute la journée soit prêt à mourir sous les frappes ou à finir ses jours dans un abri anti-atomique comme Caïn dans son souterrain ?
Lorsque nous aurons pris ces sanctions et que nous nous serons préparés à un long conflit, car cette guerre sera longue, il nous faudra relever un autre défi, plus redoutable encore. Celui du rétablissement de la puissance de l’Europe. « L’Europe ne se fera qu’au bord du tombeau » disait Nietzsche. Propos prophétique car l’Europe est née des charniers de la deuxième guerre mondiale et elle n’a progressé qu’en surmontant ses crises. Celle du COVID a permis un pas de géant par la mutualisation des dettes du plan de relance. L’invasion sanglante de l’Ukraine a fait comprendre à tous, à commencer par les allemands, ce que le Président de la République ne cesse d’expliquer depuis le début de son mandat, c’est que l’Europe ne sera jamais une puissance si ses États ne se réarment pas et si une défense commune ne voit pas le jour. Jamais Poutine n’aurait pu nous faire un meilleur cadeau.
Pour l’heure, nous allons participer à cette guerre par les mesures déjà prises, par notre unité avec nos alliés européens et américains et par notre fermeté face au tyran qui s’est lancé dans une aventure sans issue.
Mais ce n’est pas nous qui allons la gagner. Les seuls qui peuvent la gagner, ce sont deux peuples. Le peuple russe qui, pour la première fois, malgré une répression impitoyable et une propagande effrénée, est en train de comprendre que Poutine le conduit vers le gouffre. Le sursaut viendra-t-il de la rue, ou de quelques Brutus qui comprendront l’urgence d’agir avant qu’il ne soit trop tard, je ne sais. Mais le dénouement pourrait bien surprendre.
Et surtout, ceux qui vont gagner cette guerre, ceux qui sont déjà en train de la gagner quel qu’en soit le coût, ceux qui nous donnent une grandiose leçon de courage, guidés par un Président devenu en quelques jours un héros de la trempe d’un de Gaulle ou d’un Churchill, Wolodomir Zelensky, ceux qui vont gagner cette guerre, c’est le peuple ukrainien soudé contre Poutine et prêt au sacrifice pour défendre sa liberté et la nôtre, sa démocratie et les valeurs européennes qu’il partage. Puissions-nous les admirer, les acclamer, les soutenir et nous montrer dignes d’eux.