06 février 2020
Débat sur le thème : « L’organisation d’un référendum sur la privatisation d’Aéroports de Paris est-elle une exigence démocratique ? »
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes Chers Collègues,
Il y a tout juste un an, nous examinions le projet de loi PACTE. Parmi toutes les mesures de bon sens, attendues de longue date par les entrepreneurs et les salariés français, une disposition de ce texte cristallisait les tensions politiques. Il s’agissait de la privatisation d’Aéroports de Paris.
Un an après, nous nous réunissons de nouveau dans cet hémicycle pour aborder cet épineux sujet.
Cependant, l’objectif de ce débat n’est pas de remettre le même ouvrage sur le métier. Car depuis lors, les termes du débat ont changé. Une proposition de loi référendaire a été déposée contre cette privatisation.
La question qui nous est posée aujourd’hui est la suivante : l’organisation de ce référendum est-elle une exigence démocratique ?
Nous devons donc définir ce que signifie l’expression « exigence démocratique ».
On peut l’entendre de deux façons : d’une part, savoir s’il s’agit d’une demande du peuple français suffisamment forte pour justifier l’organisation d’une large consultation ; d’autre part, s’il s’agit d’une obligation institutionnelle fondée sur un principe de notre droit.
Concernant la demande populaire, d’abord, j’éviterai pour ma part de me poser en porte-voix du peuple français.
Je me contenterai d’en référer à des critères objectifs. Or, nous disposons en la matière d’un baromètre assez précis.
En effet, en choisissant la voie du référendum d’initiative partagée, les Parlementaires ayant co-signé la proposition de loi référendaire ont sollicité le soutien de nos concitoyens.
La proposition ne pourra être adoptée que s’ils parviennent à réunir les signatures de 10% du corps électoral, soit quelque 4,7 millions de Français, dans les 9 mois suivant le dépôt de la proposition.
A quelques semaines de l’échéance, les soutiens ne dépassent guère le million de signatures, soit à peine 2% du corps électoral. Difficile, dans ce contexte, de parler de demande populaire forte…
Concernant l’obligation institutionnelle, ensuite. Dans le cas où le seuil des 4,7 millions de signatures ne serait pas atteint, la proposition de loi référendaire resterait lettre morte. Dès lors, aucune loi de la République ne pourrait contraindre le pouvoir exécutif à organiser un référendum.
En somme, il apparaît qu’un référendum sur la privatisation d’ADP n’a rien d’une « exigence démocratique ». Nos institutions ne nous y obligent pas, et le peuple ne le demande pas.
La deuxième question porte sur la décision du Conseil Constitutionnel jugeant recevable cette proposition de loi référendaire. Cette décision a suscité de nombreuses critiques, notamment celle, dans une tribune parue le 14 mai dernier dans Le Monde, de deux constitutionnalistes de renom qui considéraient que le Conseil constitutionnel avait commis une double faute, à la fois juridique et démocratique, en jugeant recevable cette proposition de loi. Leur argumentation s’appuie notamment sur le fait que cette procédure ne respecterait pas l’esprit de la réforme constitutionnelle de 2008 ayant instauré le referendum d’initiative partagée.
En effet, une proposition de loi référendaire ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an. L’initiative de nos collègues a donc joué sur le calendrier et, pour ainsi dire, sur les mots, en visant à abroger une disposition votée par les assemblées mais non promulguée par le pouvoir exécutif.
Ces critiques ont été entendues par le Conseil Constitutionnel lui-même, dont le Président a cru nécessaire de justifier sa décision, fait rarissime, en publiant un communiqué.
Petite parenthèse, ce communiqué rappelle préalablement que le Conseil Constitutionnel a validé la loi Pacte, y compris les articles prévoyant la privatisation d’ADP, ce qu’on oublie trop souvent ; c’est dire que j’ai été un peu étonné d’entendre dire à l’instant que ces articles étaient anticonstitutionnels.
Aujourd’hui, n’en déplaise à ceux qui ont déclenché la procédure de referendum, cette privatisation a donc force de loi et il y a tout lieu de penser que cela le restera tant nous sommes loin aujourd’hui des 4,7 millions de signatures.
Mais là n’est pas l’essentiel. L’essentiel est que, dans le vocabulaire très particulier et très prudent du Conseil Constitutionnel, Laurent Fabius exprime, je cite, « qu’il y a matière à réflexion sur la manière dont cette procédure – celle du referendum d’initiative parlementaire – a été conçue » fin de citation. Ce qui veut dire, en français de tous les jours, que le législateur s’est pris les pieds dans le tapis en 2008 et que Laurent Fabius suggère donc à mots couverts qu’il faudra y revenir lors d’une prochaine révision constitutionnelle.
Quelle est en effet la conséquence importante et fâcheuse du texte constitutionnel tel qu’il est aujourd’hui rédigé ? C’est la faille dans laquelle se sont engouffrés les parlementaires ayant lancé la procédure de demande de referendum un jour avant la promulgation de la loi. Avec la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, on va désormais pouvoir proposer un referendum sur tous les sujets pendant même l’examen de la loi. Ce qui revient à opposer démocratie directe et démocratie représentative alors qu’elles étaient jusqu’à présent complémentaires. A opposer, au même moment les deux expressions de la volonté nationale que sont le vote des représentants du peuple et le referendum. Dans ces conditions cette forme de démocratie participative vise moins à compléter les mécanismes de la démocratie représentative qu’à leur faire échec.
C’est un problème grave et qui nécessitera, comme je l’ai déjà dit, une clarification de l’article 11 de la constitution lors de la prochaine révision constitutionnelle.
Si nous ne le faisons pas, nous aurons laissé, nous parlementaires, discréditer le travail des assemblées en le soumettant aux impératifs de la démocratie plébiscitaire. Et nous connaissons tous l’écueil principal de cette démocratie plébiscitaire : elle conduit les citoyens à se prononcer pour ou contre un Gouvernement plutôt que pour ou contre une mesure, aussi importante soit-elle pour le pays.
Nous sommes au cœur des débats qui depuis un an portent sur les rapports de la démocratie représentative et de la démocratie directe. J’ai exprimé à d’autres occasions les graves inquiétudes que m’inspirent les dérives vers la démocratie directe, démocratie d’émotion quand ce n’est pas démocratie de l’émeute. Dans les circonstances que traverse aujourd’hui notre pays, et alors que la vague populiste menace un peu partout les régimes démocratiques, il est plus que jamais essentiel de lui résister.