06 avril 2023
Proposition de loi relative à la maîtrise de l'organisation algorithmique du travail (voir le dossier législatif)
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Madame la Présidente,
Madame la Ministre,
Madame la Rapporteure,
Monsieur le Président de la Commission,
Mes chers Collègues,
Depuis sa sortie fin 2022, et plus encore depuis celle de sa dernière version, ChatGPT ne cesse de faire parler et nourrit autant d’inquiétudes qu’il ne fait d’adeptes.
Parmi les craintes, on évoque les risques liés à la confidentialité des données, ceux relatifs à l’exactitude des informations transmises par le chatbot et les risques de plagiat.
Il est aussi régulièrement question des risques de suppression d’emplois que cette « intelligence artificielle générative » pourrait causer. A ce titre, dans un rapport publié le 26 mars dernier, des économistes ont estimé que ce type d’intelligence artificielle pourrait exposer plus de 300 millions d’emplois à l’automatisation.
Mais cette inquiétude de l’articulation entre le travail et l’évolution technique et numérique est-elle une nouveauté ? Pas vraiment.
La crainte des évolutions techniques et de leur impact sur le travail de l’homme existe depuis longtemps et n’a pas attendu les pontes de la Silicon Valley. En 1589, la Reine Elisabeth 1ère d’Angleterre interdisait la machine à tricoter les bas de crainte qu’elle ne prive ses sujets d’emplois.
Plus récemment, dès l’apparition d’Uber en France en 2011, des alertes étaient lancées sur le risque « d’uberisation de la société » et la nécessité d’adapter notre droit du travail aux évolutions numériques.
C’est donc en permanence que nous devons nous interroger sur le rapport entre les évolutions techniques et le travail. C’est ce sur quoi porte la présente proposition de loi.
Plus exactement, celle-ci nous propose de légiférer sur l’impact des algorithmes dans la relation de travail.
Cette PPL s’inscrit au-delà du seul cadre des plateformes numériques. L’usage d’algorithmes dans la relation de travail est aujourd’hui présent bien plus largement, y compris dans des secteurs qui ne sont pas directement liés au numérique. Processus de recrutement, gestion des carrières ou évaluations des salariés… Les algorithmes interviennent de plus en plus dans la gestion des ressources humaines.
Ce texte a le mérite d’ouvrir le débat sur cette nouvelle forme de management qu’est le management algorithmique et sur les enjeux qu’il soulève. Si ce type d’inquiétude n’est pas nouveau, ce qui inquiète davantage, c’est le nombre important et le type d’emplois qui pourraient être concernés. C’est aussi la rapidité avec laquelle ils pourraient l’être.
Il nous revient d’encadrer leur usage de sorte qu’il ne se fasse pas au détriment des salariés. Reconnaissons-le, pour les travailleurs comme d’ailleurs pour les employeurs, les algorithmes ont souvent quelque chose d’abstrait, voire d’opaque.
Cette PPL pose ainsi des questions tout à fait légitimes sur l’articulation entre algorithme et pouvoir de l’employeur, sur les critères et les paramètres retenus par un algorithme ou encore sur le statut des travailleurs des plateformes numériques.
Toutes ces questions sont pertinentes. Cependant, nous ne pensons pas que les réponses soient dans ce texte.
En effet, les dispositions législatives déjà en vigueur n’excluent pas du pouvoir de direction et de contrôle de l’employeur les décisions prises avec un algorithme. Elles ne les excluent pas non plus du principe de non-discrimination. Est-il donc nécessaire de légiférer de façon à préciser que tout ce qui ne serait pas exclu d’une règle y est inclus ? Nous ne le pensons pas.
Sur la question du statut des travailleurs de plateformes, nous estimons plus pertinent d’attendre la directive européenne qui devrait arriver sous peu.
Il y a une semaine, plus d’un millier de personnalités du monde de la tech signaient une lettre ouverte appelant à suspendre le développement de l’intelligence artificielle et s’interrogeaient : « Devrions-nous automatiser tous les emplois ? Devrions-nous développer des esprits non-humains qui risqueraient de nous dépasser en nombre et en intelligence, nous rendre obsolète et nous remplacer ? Devrions-nous risquer de perdre le contrôle de notre civilisation ? »
Autant de questions auxquelles les six mois de suspension demandés par les signataires ne suffiront sans doute pas à apporter des réponses. Les signataires n’en apportent pas non plus mais ils alertent au moins sur ce sujet, à l’image de cette PPL.
Il est cependant intéressant d’en débattre et je remercie l’auteur de la PPL de nous avoir permis d’y réfléchir.
Notre Groupe votera contre ce texte.