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Ingérences étrangères en France : un premier pas franchi au Parlement

Mercredi 22 mai 2024, le Sénat a adopté, après l'Assemblée la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France.


Sur ce texte, Claude Malhuret, Président de notre Groupe et Sénateur de l'Allier, a été nommé Rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.


Les 4 principales recommandations mises en oeuvre, issues de son rapport, sont les suivantes :


  • La création d'un répertoire numérique des représentants d'intérêts agissant pour le compte d'un mandant étranger ;


  • La remise d'un rapport au Parlement sur l'état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale en raison d'ingérences étrangères ;


  • L'extension aux cas d'ingérence étrangère de la technique de « l'algorithme » ;


  • Le gel des avoir des personnes physiques et morales se livrant à des actes d'ingérence.


 

Intervention en séance publique de Claude Malhuret, Rapporteur pour avis



Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Mes chers Collègues,


Une nouvelle guerre a commencé et nous tardons à le comprendre. Au XXème siècle les démocraties, au terme d’un combat de cent ans contre les totalitarismes, l’ont emporté. Comme Kant nous avons cru, à tort, à la paix perpétuelle. Les dictatures sont revenues, bien décidées à prendre leur revanche et unies contre nous.


Le plus étonnant dans notre déni, c’est que nos ennemis ne se cachent pas. Poutine, Xi, Kim Jong Un, Khamenei et d’autres déclarent ouvertement qu’ils veulent notre perte et le changement de l’ordre du monde.


Plus surprenant encore, à l’Est de l’Europe, en mer de Chine, au Moyen Orient ou en Afrique, la vraie guerre, la guerre traditionnelle, la guerre des armées et des canons se déroule devant nous sur nos écrans. Mais au lieu de nous alerter, les dirigeants des démocraties, comme dans les années 30, font tout pour nous rassurer. Combien de fois ces derniers mois n’avons-nous pas entendu : « Nous ne sommes en guerre avec personne, nous ne voulons la guerre avec personne. » Quelle étrange idée, lorsque vos ennemis annoncent qu’ils veulent vous détruire, que de prétendre ne pas être en guerre.


La guerre qu’on ne voit pas venir, titre d’un livre de Nathalie Loiseau que chacun devrait lire, est nouvelle et différente des précédentes. Le monde a changé, la guerre aussi.


Campagnes de désinformation, manipulation des opinions publiques, noyautage des réseaux sociaux, fake news, fermes à trolls, cyberattaques, infiltration des milieux politiques et des affaires. C’est le fondement de nos démocraties qui est attaqué de l’intérieur. Sans victime apparente, sans coupables identifiés, mais avec des dégâts sur nos institutions qu’il faut être aveugle pour ne pas voir.


C’est la première branche de la tenaille, l’ingérence, que nous faisons semblant d’ignorer. En 2018, ici même au Sénat, j’ai réclamé l’interdiction de Russia Today et de Sputnik. Le ministre d’alors m’a répondu : « Vous n’y pensez pas, et la liberté d’expression ». La liberté d’expression pour des organes de propagande du FSB pilotés depuis Moscou ! Le lendemain de l’invasion de l’Ukraine RT et Sputnik étaient interdits en panique dans toute l’Europe. Quel meilleur exemple de notre naïveté congénitale. Est-ce que nous avons compris aujourd’hui ? J’ai bien peur que non. J’ai demandé à la Commission européenne des mesures contre Tik Tok si cette plate-forme continue à se moquer des règles du DSA. Elles tardent à venir. A Nouméa le gouvernement a très bien compris le rôle majeur de Tik Tok dans la propagation des émeutes et a eu le courage de décider sa suspension. Le ministre est déjà assigné en justice par les ONG gauchistes pour atteinte à la liberté d’expression. Je l’ai déjà dit, je le redis ici avec solennité : tant qu’on considérera les plates-formes, ces banques de la colère, comme des hébergeurs et non comme des éditeurs avec le régime de responsabilité et de sanctions qui s’y attache, nous perdrons la bataille de la désinformation, c’est à dire la bataille de la démocratie.


Après l’ingérence, la deuxième branche de la tenaille, c’est la cinquième colonne. L’extrême droite qui finit toujours dans le camp de l’étranger par haine de son propre pays et l’extrême gauche dont la candeur refuse de voir que la paix suppose la puissance. Ce sont les courroies de transmission des tyrannies et les enquêtes pénales pour intelligence avec l’étranger se concentrent aujourd’hui sur ces extrêmes, chez nous comme au Parlement européen. Il faut y ajouter le très vaste réseau d’experts, de militaires, d’anciens espions et de journalistes, relais en France de la propagande russe.

La proposition de loi que nous allons étudier a deux vertus. La première c’est qu’elle marque la fin du déni. L’ampleur des ingérences en Europe est incroyablement sous-estimée et il faudra des années pour convaincre de son caractère massif. Il est plus que temps de commencer. La deuxième vertu de cette loi est qu’elle propose des moyens de faire face à la menace. Jean-Noël Barrot et Agnès Canayer, notre rapporteur au fond, viennent d’en faire l’analyse détaillée. Ce projet est donc bienvenu et la Commission des Affaires Etrangères et de la Défense le soutient.


Mais le chemin a parcourir est gigantesque et ce premier pas est encore timide. La loi FARA, l’équivalent aux Etats-Unis, date de 1938, celle de la Grande Bretagne d’il y a plusieurs années, c’est dire le retard que nous devons rattraper. Quant aux moyens, les chiffres sont carrément terrifiants. Les agents des organes de désinformation, de cyberguerre, de fermes à trolls et de censure en Russie sont des centaines de milliers. En Chine plusieurs millions. Face à cela a été créé en France un Commandement de la cyberdéfense rattaché au Chef d’état-major des armées. Il compte 3500 membres. VIGINUM, chargée de la protection contre les ingérences numériques étrangères, compte en 2023 42 agents. Enfin le registre prévu par la loi que nous allons voter sera confié à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique qui compte 71 agents et devra assumer cette charge supplémentaire à effectif constant.

Ces chiffres à eux seuls résument l’incroyable disproportion des forces au début de ce XXIème siècle où s’engage la deuxième manche de la lutte entre les démocraties et les dictatures.


Chaque jour apporte son lot de nouvelles attaques. La dernière provocation de la Russie, qui n’a pas hésité hier à souiller le mémorial de la Shoah à Paris et à tenter de mettre à bas l’ensemble du réseau Internet de Nouvelle Calédonie, est un nouveau symbole de l’urgence à identifier et à combattre les ingérences étrangères dans notre pays. C’est ce que nous allons faire ce soir.


SEUL LE PRONONCÉ FAIT FOI.


 

Intervention en séance publique de Vanina Paoli-Gagin, orateur pour notre Groupe



Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Mes chers Collègues,


Les démocraties, cela a été dit, sont des sociétés ouvertes. Chacun y jouit de la liberté d'expression, peut émettre des idées nouvelles, critiquer l'action du gouvernement, l'action du Parlement. Cette ouverture et cette liberté sont de grandes forces pour nos sociétés. Avec un débat d'idées plus nourri, plus respectueux du pluralisme, nous avons la possibilité d'améliorer nos politiques publiques. Cependant, cela constitue aussi notre talon d'Achille et ce dès le temps de paix. Nos adversaires peuvent effectivement tenter d'instrumentaliser cette ouverture pour peser, influencer, voire s'ingérer dans la vie démocratique de nos pays.


Lors du vote sur le Brexit ou de l'élection présidentielle américaine en 2016, de telles manipulations ont été détectées. En 2017, cela a été rappelé, notre pays a lui-même été l'objet d'attaques informationnelles. Les affaires de corruption et d'espionnage, cela a été dit, auxquelles le Parlement européen a été confronté, soulignent la réalité de la menace. Elles nous appellent à la plus grande vigilance à l'approche du scrutin européen, particulièrement dans le cyberespace.


Les ingérences ne se limitent pas, hélas, aux seules élections. Nos concitoyens doivent avoir conscience du fait que des acteurs étrangers cherchent à exercer un contrôle, parfois très étroit, sur l'information et surtout sur l'opinion, chaque fois qu'une décision publique est prise dans notre pays. La création de VIGINUM en 2021 sous l'égide du SGDSN a permis de détecter, caractériser, imputer, attribuer et répondre à de nombreuses manipulations de l'information, aux ingérences numériques étrangères, que ce soit lors de la pandémie ou depuis le début de la guerre en Ukraine. L'UE et l'OTAN développent aussi des doctrines et des outils pour lutter contre cette menace.


Afin de mieux protéger nos sociétés, et au-delà de notre modèle démocratique, nous devons cependant assurer une meilleure transparence sur les actions d'influence des puissances étrangères. Je voudrais dire un mot de la situation Géorgienne. La similarité du titre des lois n'efface pas les différences majeures qui séparent leurs dispositions. Pour le régime de Tbilisi, le fait d'être financé à 20% de fonds étrangers entraîne la qualification d'organisation poursuivant les intérêts d'une puissance étrangère. La proposition de loi que nous examinons ce soir ne poursuit pas la même logique. Elle vise à surveiller les actions de lobbying déployées par les puissances étrangères. Elle n'accuse pas l'ensemble des organisations recevant des fonds étrangers de poursuivre des intérêts étrangers. Le texte concerne seulement celles qui ont pour objet d'influer sur les décisions publiques en les soumettant à des obligations déclaratives renforcées.


Ces déclarations, cela a été rappelé, permettront de mettre au jour les manœuvres contre nos institutions. La HATVP aura ainsi les moyens de mieux surveiller la mise en œuvre de stratégies d'influence et de qualifier de façon plus fine leur ampleur. Dans un contexte d'affrontement particulièrement tendu entre puissances, nous considérons également qu'il est impératif de permettre à nos services de renseignement d'utiliser le traitement automatisé de données afin de détecter les ingérences étrangères, mais aussi toutes les menaces qui pèsent sur notre défense nationale.


Si des menaces sont détectées, nous devons avoir les moyens de nous défendre. Le texte prévoit ainsi un dispositif d'entrave des ingérences. Le gouvernement pourra ainsi décider le gel des fonds utilisés pour ces manœuvres. En commission des lois, ce volet préventif a été complété par un volet répressif. Commettre une infraction pour le compte d'une entité étrangère sera désormais constitutive d'une circonstance aggravante des atteintes aux biens et aux personnes. Les techniques spéciales d'enquête pourront être employées le cas échéant.


Nous ne pouvons plus ignorer la réalité de cette menace. Nous avons le devoir d'en protéger nos concitoyens. Les travaux de la délégation parlementaire au renseignement ont fortement inspiré ce texte. Les deux rapporteurs, dont je salue l'excellent travail, ont encore amélioré la proposition de loi. Il faudra sans doute encore le renforcer. Il faudra aussi le renforcer dans le domaine économique qui méritera aussi toute notre attention et sans doute aussi légiférer très prochainement sur ce sujet. Plus de transparence, plus de renseignement, c'est autant de moyens supplémentaires pour permettre à notre pays de mieux se défendre des atteintes qui sont portées à notre souveraineté.


Dans cette drôle de "néo-guerre" informationnelle qui s'intensifie, le Groupe Les Indépendants votera donc en faveur de cette proposition de loi.


Je vous remercie.

Interventions au Sénat

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