Jean-Luc Brault : Débat sur l'apprentissage
- Les Indépendants
- il y a 7 heures
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Débat sur la santé mentale, grande cause du gouvernement pour l'année 2025 : quels moyens pour en faire une priorité ?
Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Madame la Présidente Estrosi-Sassone,
Mes chers Collègues,
Qui ici, dans cet hémicycle, a conseillé ou conseillerait à ses enfants de choisir un lycée professionnel ou un CFA plutôt qu'un lycée général ou une grande école ?
Posons le décor de suite, sur beaucoup de sujets tels que celui-ci, c'est souvent la même chose : c'est bien, c'est beau, mais chez les autres, pas chez moi. L'apprentissage fait encore partie de ces tabous.
Encore récemment, en début de semaine, personnellement, j'ai un parent d'élève qui me racontait que son professeur était content de ne pas envoyer d'élèves en lycée professionnel ou en collège technique cette année. Mot pour mot. Les yeux m'en sont sortis de la tête.
Comment donner l'envie aux jeunes de choisir l'apprentissage ? Je crois que c'est le nerf de la guerre.
Des belles histoires, il en existe. Je pourrais passer la journée à vous en raconter dans tous les secteurs et dans tous les territoires. Le problème, c'est qu'aujourd'hui, on parle avec nostalgie alors qu'on devrait en faire des étendards.
On a tous quelqu'un dans notre entourage qui a débuté avec un CAP ou un BTS en poche et qui maintenant occupe un poste qui nécessiterait d'avoir fait plusieurs années d'études ou un salarié d'une TPE-PME qui a pris son envol en montant sa boîte, a fait fortune et passe désormais le relais à ses compagnons.
"Maintenant, c'est plus possible, gamin. Plus tu feras d'études, moins tu bosseras et plus tu gagneras." Qui n'a jamais entendu ces paroles ?
En 2018, on choisit de réformer l'apprentissage pour en faire une voie d'excellence, un moyen de lutte contre le chômage des jeunes et une politique d'émancipation sociale.
Aujourd'hui, on se bat dans les entreprises pour recruter les jeunes apprentis, car c'est la certitude pour un patron ou un chef d'entreprise d'avoir des salariés opérationnels et surtout déjà intégrés dans l'entreprise.
À défaut, on recrute de la main-d'œuvre étrangère. Personnellement, je l'ai fait, souvent. Et après quelques années dans notre pays, ces travailleurs étrangers, par la volonté d'apprendre, de gagner leur vie, ont des parcours et des réussites impensables au départ.
C'est le chef d'entreprise qui vous le dit, les apprentis sont des pépites rares à dénicher désormais.
Le pendant, pour ne pas dire le paradoxe, c'est que c'est aussi une folie financière. La dépense publique pour soutenir l'apprentissage a explosé.
Plusieurs pistes existent, on en proposera deux dans le Groupe. Réviser les niveaux de prise en charge, les fameux NPEC. Évaluer le taux d'insertion dans l'emploi des formations en alternance pour concentrer la dépense publique sur celles qui permettent véritablement d'insérer nos jeunes dans l'emploi.
Mais n'oublions pas qu'investir dans l'apprentissage, c'est investir dans l'avenir, c'est garantir notre souveraineté économique et industrielle. C'est aussi de l'emploi, des cotisations sociales pendant des années. Le retour, Madame la Ministre, sur investissement est imbattable.
Que Bercy sorte les calculettes, c'est tout vu, mes chers Collègues.
Mais au-delà de la technique, on ne pourra pas faire l'impasse de ne pas répondre à cette question : comment donner l'envie aux jeunes de devenir apprentis ?
On pourrait aussi s'inspirer de l'Allemagne pour accompagner encore plus les maîtres d'apprentissage. Regardez aujourd'hui le numéro 1 de chez Mercedes, il est passé par cette voie.
Côté parents, je ne suis pas là pour refaire leur éducation. Côté professeurs, tous ne pensent pas comme l'exemple de tout à l'heure. Heureusement.
J'en profite d'ailleurs pour les saluer, les remercier du travail qu'ils font. Beaucoup se démènent corps et âme.
Et j'ai le plaisir de saluer également, comme le Président tout à l'heure, la Chambre des métiers de l'Artisanat du Centre Val-de-Loire dont je dépends, qui présente ce jour au Sénat avec des apprentis du territoire dont certains sont mobilisés pour la réussite de cette journée.
Je suis moi-même passé par le collège technique Benjamin Franklin à Orléans, j'ai créé ma propre entreprise qui aujourd'hui pèse 70 millions d'euros de chiffre d'affaires sur la région.
C'est donc important de passer aujourd'hui par l'apprentissage.
Mes chers Collègues, vous l'avez compris, c'est un cri du cœur, car j'en ai assez que l'on dévalorise la voie professionnelle et l'apprentissage. Et parfois, c'est sincère, malheureusement. Mais souvent, je crois que c'est l'expression d'une certaine forme de résignation, plus profonde, directement liée à la réalité de notre culture, de l'entreprise et de l'entrepreneuriat.
L'apprentissage, c'est un trampoline. Ça peut vous faire décoller très rapidement, et dans tous les cas, vous retomberez sur vos pieds.
Je le dis, je le répète, ce n'est pas une voie de garage, c'est une voie d'excellence et parfois même la voie royale. Une voie royale qui donne les outils pour démarrer dans la vie, vous procurer la liberté ensuite d'en faire ce que vous voulez.
N'oubliez pas que la main, c'est le prolongement de l'esprit. Et ça devrait être une fusée dans l'entrepreneuriat et les postes à responsabilité.
Mais aujourd'hui vous voulez monter votre boîte, après avoir roulé votre bosse dans une TPE, PME, je pense au bâtiment bien sûr mais pas que, et bien vous vous cognez les délais de l'administration, la complexité des normes, la pression fiscale, l'instabilité de notre politique nationale et la folie des géants de ce monde qui flinguent notre business du jour au lendemain.
Monsieur le Président, ce matin vous l'avez dit, simplification.
Vous voulez intégrer une grande boîte par la technique et monter en compétences ensuite, c'est plus possible ou en tout cas trop rare.
Car on va vous dire qu'on préfère embaucher un ingénieur ou un bac+5 pour faire votre boulot plutôt que de vous faire monter en interne. Alors faites une école de management. N'apprenez surtout pas à travailler et à faire quelque chose de vos mains.
C'est trop souvent la réalité, mes chers Collègues.
Donner l'envie aux jeunes, c'est d'abord changer notre culture de l'entreprise et de l'entrepreneuriat.
J'entends souvent les jeunes qui n'ont plus le goût de l'effort, mais comment leur donner tort quand dans notre pays le système est tel qu'on préfère passer plus de temps à éviter de perdre de l'argent plutôt qu'à en gagner, à chercher les niches fiscales plutôt qu'à produire de la richesse.
À la fin, c'est notre pays qui tombe en ruine.
Ce n'est pas aux jeunes de changer, c'est à nous de revoir notre logiciel, notre façon de penser et de faire pour valoriser le goût de l'effort, du risque et de la réussite.
Je vous en remercie et je souhaite à tous ces jeunes-là, qui sont ici, d'être ambitieux et forts et d'écouter vos professeurs.
Merci.