06 mai 2021
Débat sur le thème : "Écriture inclusive : langue d'exclusion ou exclusion de la langue" (mis à l'ordre du jour par notre Groupe)
Madame la Présidente,
Madame la Ministre,
Mes chers Collègues,
D’autant que je me souvienne lorsque j’étais au collège et que j’apprenais les différentes règles de l’orthographe de notre belle langue, je me demandais souvent « Mais pourquoi… » Alors, je prenais mon courage à deux mains et je demandais à mon professeur : « Pourquoi dit-on le soleil et la lune alors qu’en allemand le soleil est un féminin et la lune un masculin ? Mieux encore, pourquoi les mots : orgue, délice et plus tard, le mot amour sont-ils des masculins au singulier mais des féminins au pluriel ? » Alors, à ce moment, mon professeur me disait : « Parce que c’est comme ça ! »
La vérité, c’est qu’il n’en savait pas plus que moi. Personne ne le sait en définitive. Les grammairiens font un travail énorme de fourmis et avancent des théories plus ou moins proches de la réalité sans doute. Mais voilà, notre langue est faite comme ça et c’est ainsi !
Je dis bien c’est ainsi et non pas, il devait en être ainsi ! En effet, une langue est la résultante d’un travail lent et laborieux de son usage, de ceux-là mêmes qui la pratiquent, l’idéalisent, la malmènent. Elle n’est pas créée théoriquement mais elle est l’osmose plus ou moins parfaite des usages. Une langue n’est pas un bloc de marbre froid ; elle est un corps, une glaise qui se modèle, se sculpte, se transforme, se patine au gré du temps et de ses évolutions.
Je ne suis ni linguiste, ni philosophe mais un humble sénateur inspiré par le bon sens, et vous l’aurez compris, je veux dire ici qu’une langue n’est pas le fruit de revendications identitaires et partisanes animées par une forme de militantisme bien désuet.
Alors, quand j’ai découvert indépendamment de toute idéologie, la problématique de l’écriture inclusive, j’ai cru à une fantaisie, une sorte de caprice de l’esprit.
Je vous le confie, tout ceci me semblerait dérisoire, s’il ne révélait pas l’expression d’une fracture de la société. C’est pourquoi, notre Groupe vous invite aujourd’hui à réfléchir sur l’écriture inclusive.
Mais avant tout, revenons aux réponses, loin d’être satisfaisantes, de mon professeur. Comme moi, nombre d’entre vous a dû les entendre de la bouche de ses enseignants. Pourtant, cela ne vous a pas empêché d’acquérir les rudiments de l’orthographe française, n’est-ce pas ?
Malheureusement, nous ne sommes pas tous égaux face à la langue. Je ne pense pas me tromper en observant une lente et pernicieuse dégradation de l’apprentissage de notre langue parmi les jeunes générations. Alors, avant de s’intéresser à l’écriture inclusive, comme notre Groupe vous y invite, commençons par apprendre la langue française à nos enfants.
Interrogez nos universitaires et nos enseignants, ils sont désespérés. Je veux vous lire le témoignage que j’ai recueilli auprès d’une professeure de faculté. Je la cite :
« Mes étudiants comprennent un raisonnement, une démonstration mais ils sont, pour la plupart, dans l’incapacité de retranscrire ce raisonnement faute de savoir construire une phrase simple avec un sujet, un verbe et un complément, voire parfois ne disposant que d'un vocabulaire d’une pauvreté abyssale. »
Le linguiste Alain Bentolila corrobore ces propos avec un chiffre effrayant : « 20% des jeunes possèdent moins de 500 mots pour dire le monde »…
Je crains que nous puissions parler de générations sacrifiées. Je présume que les nouvelles technologies, avec les réseaux anti-sociaux pour citer le Président Malhuret, ne vont pas contribuer à améliorer les choses. Même si notre Ministre a décidé de réformer la pédagogie, il faudra des décennies pour rattraper le temps perdu et les dégâts ainsi générés.
Alors si les tentatives de pratique de l’écriture inclusive prêtent à sourire, cette vérité n’a rien d’amusant !
Revenons à nos moutons et tentons de comprendre l’origine de ce phénomène d’écriture inclusive.
Le mouvement est d’origine anglo-saxonne et serait à l’initiative d’associations féministes dénonçant une masculinisation à marche forcée de la langue française et l’invisibilité de l’appartenance sexuelle et bien entendu celle du sexe féminin ! Le cœur de cette graphie se résume dans la mise en cause de la règle datant du XVIIème siècle « le masculin l’emporte sur le féminin ».
Le grammairien académicien Nicolas Beauzée, précisait « le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ». C’était en 1767 ! Vous le savez aussi bien que moi, l’écriture de l’histoire ne se regarde pas avec les yeux d’aujourd’hui.
Mais soit ! Nous pouvons comprendre la colère que de tels jugements peuvent entrainer et tenter, à la demande de certains mouvements féministes, de corriger ce soi-disant déséquilibre. Il n’est pas question d’interdire d’interroger l’orthographe.
Toutefois, l’écriture inclusive ne s’arrête pas là. Si j’ai bien compris, elle consiste à interférer des points médians à la fin des noms pour féminiser l’écriture. Cette pratique loin d’être intuitive peine à s’imposer. En mars 2017 un premier ouvrage destiné à des élèves de CE2 en écriture inclusive est publié. Certaines écoles ou universités voire collectivités territoriales auraient également lancé des initiatives destinées à encourager cette écriture. La polémique est désormais engagée.
Tout viendrait donc de la confusion bien regrettable, que certains perpétuent complaisamment, entre marques de genre grammatical et identificateurs de sexe. Elle tiendrait au fait que, pour certains, la langue française a trouvé et trouve commode de détourner l’usage arbitraire des marques de genre pour obtenir une distinction entre les femmes et les hommes.
On peut discuter de ces règles, tenter de les comprendre. Mais une fois encore, seul l’usage et le temps font finalement évoluer notre langue.
Cela m’amène à une réflexion : à tous les partisans du langage inclusif : « depuis combien de temps n’avez-vous pas discuté avec nos concitoyens ? » Il me semble que vos préoccupations, aux allures superfétatoires, dépassent et n’effleurent aucunement l’immense majorité des francophones.
Quand je parle de cette graphie on me regarde avec des yeux ronds avant de balayer le sujet de la conversation pour se concentrer sur ce qui est important.
Ce débat semble s’auto-alimenter dans des sphères dites bien pensantes, politiquement correctes aussi appelées, à l’américaine, éveillées.
Cette graphie, bien qu’une réelle revendication, serait devenue une sorte de marqueur idéologique, un signe extérieur de richesse culturelle, la Rolex de la bien pensance.
C’est une manière d’écrire son curriculum vitae pour montrer patte blanche avant d’entrer dans des cercles, comme le montre si bien Rachel Kahn dans son dernier ouvrage, où des parangons de vertu prônant la diversité et l’inclusion font preuve d’une remarquable homogénéité de pensée, de genre ou de pigmentation de la peau, oui, contrairement à ceux-là même, je me refuse de parler de race ou même à réduire mes compatriotes à leur couleur de peau, leur genre ou leurs origines.
Quand Jacques Derrida disait « Je n’ai qu’une langue, ce n’est pas la mienne », il mettait en avant un caractère essentiel de la langue : elle n’appartient à personne, elle n’est donc pas et ne doit pas être un outil idéologique. La question de l’égalité entre les femmes et les hommes est bien entendu primaire. Alors ne pas se poser cette question directement ? Reléguer la gent féminine à un « e » final, séparé par un point, ne serait-il pas aussi une manière de mettre un point, cette fois, final à la discussion.
J’y lis, entre les points, un violent renoncement à l’égalité et je ne sais pas si je dois m’en offusquer ou m’en attrister.
Il est dit que l’écriture inclusive consiste à inclure toutes les personnes pouvant ne pas se sentir représentées, en matière de genre, d’ethnicité ou de religion… Est-ce à dire qu’après certains groupes féministes, nous aurons à modifier notre langue sous la pression d’autres groupes de revendication ?
Alors, mes chers collègues, voulons-nous nourrir cette archipelisation de la société française si bien décrite par Jérôme Fourquet et qui amène Jacques Julliard à observer « le passage de la République des citoyens à la Société des individus » inspirée par certains courants outre-Atlantique que certains exportent ici ?
Nous ne pouvons pas admettre cette volonté d’asservir les Droits de l’Homme au profit d’une dictature de minorités défendant des intérêts particuliers.
Je n’ai pas oublié, pour ma part, que les valeurs, qui nous animent, sont les principes de la République, de la Liberté, de l’Egalité et de la Fraternité. Quatre féminins dont je ne revendique pas la masculinisation ! Elles sont trop précieuses, lumineuses et universelles !