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Vanina Paoli-Gagin : Accélérer le redressement des finances publiques

14 novembre 2024

Proposition de loi constitutionnelle visant à accélérer le redressement des finances publiques - Dossier législatif



Madame la Présidente,

Monsieur le Garde des Sceaux,

Messieurs les Rapporteurs,

Mes chers Collègues,


On ne peut, je pense, pas résoudre un problème avec le même mode de pensée que celui qui a généré le problème. Alors que nous nous apprêtons à examiner le budget pour 2025, je ne crois pas inutile de rappeler cette maxime d'Einstein.


Cette année encore, nous voterons un budget en déficit, comme nous le faisons déjà depuis un demi-siècle. Cette année encore, nous trouverons en chaque économie un sujet de débat, en chaque dépense l'objet d'un consensus. Cette année encore, nous alerterons sur la dérive de nos finances, mais au fond, rien ne sera fait pour inverser la donne et engager pour de bon le rétablissement de nos comptes.


À tout le mieux, ce budget évitera la crise financière à court terme, mais il ne contrecarre pas sa survenue à long terme si aucun changement systémique n'est opéré. Je suis bien marrie de jouer ainsi les Cassandre, mais comment se satisfaire de cette triste pantomime qui, chaque année, se répète et qui, un jour, se finira mal ?


À mon sens, nous faisons aujourd'hui face à une triple impasse. Une impasse financière, une impasse économique, et j'ose le dire, une impasse démocratique.


Une impasse financière, d'abord, avec une dette publique qui dépasse les 110 % du PIB et un déficit durablement installé au-dessus de 5 % du PIB. Nous avons renié nos engagements européens que nous respections encore au début du siècle. La succession des crises depuis 2020 n'explique qu'en partie cette dérive. Les dépenses exceptionnelles engagées pendant la crise sanitaire, le plan de relance, la crise énergétique, au total dépassent à peine les 250 milliards d'euros, soit un quart de l'augmentation de notre dette publique depuis 2017. La France est, vous le savez, mes chers Collègues, devenue le cancre de l'Union européenne et nous empruntons à présent un taux supérieur à celui auquel nos amis portugais empruntent.


Cette impasse financière mène à une impasse économique. Le Gouvernement actuel est contraint de porter un budget de crise qui ne satisfait personne. Ne lui en tenons pas rigueur, il a dû composer avec le réel. Aujourd'hui, cette réalité déçoit absolument tout le monde. Augmenter les impôts du pays le plus fiscalisé du monde pour tenir un déficit à 5 % du PIB tout en rabotant des dispositifs de soutien à l'innovation, c'est mettre notre économie sous forte pression, et saper véritablement sur le moral des troupes. Résultat : les investissements, les recrutements sont gelés. La seule chose que les entreprises redoutent plus que les hausses d'impôts, ce sont les hausses d'impôts imprévues. D'autant plus dans un contexte international qui est marqué par une guerre concurrentielle de haute intensité qui va ne faire que s'accroître.


La dernière forme d'impasse est d'une toute autre nature. J'ai rappelé que nous allons prochainement entamer l'examen du budget, mais nous ignorons si nous pourrons l'achever, et ce alors que l'Assemblée nationale n'a même pas adopté la première partie du projet de loi de finances. En cause, l'inflation chronique du nombre d'amendements dans un calendrier contraint par la LOLF. Et la seule façon d'y échapper en tant que parlementaire, c'est finalement de renoncer à notre droit le plus souverain, c'est-à-dire notre droit d'amendement.


D'où l'impasse démocratique : le Parlement pourrait ne plus voter le budget, ce qui est pourtant l'une de ses prérogatives essentielles. Autrement dit, pour continuer à exercer ses missions, le Parlement devrait d'une certaine manière renoncer à exercer son pouvoir.


Monsieur le Garde des Sceaux, vous avez beaucoup œuvré dans vos précédentes fonctions au renforcement des mécanismes juridiques et singulièrement organiques pour améliorer le pilotage de nos finances publiques. Votre rôle aujourd'hui est aussi de veiller au bon fonctionnement de nos institutions. Je me permets donc d'insister sur cette impasse démocratique. Car les excellents arguments juridiques que nous allons entendre tout à l'heure conduiront de fait à justifier cette situation.


Face au constat de cette triple impasse, il serait irresponsable de ne rien faire. Je suis convaincue qu'il est indispensable de changer la méthode par laquelle on élabore le budget. La solution que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui vise à renforcer dans notre Constitution la programmation des finances publiques. Je remercie mes collègues du Groupe Les Indépendants d'avoir inscrit ce texte à l'ordre du jour du Sénat. Le principe en est assez simple : il s'agit en matière budgétaire de donner une primauté à la pluriannualité sur l'annualité.


Aujourd'hui, vous le savez, les lois de programmation des finances publiques prévues par la Constitution fixent une trajectoire budgétaire que le Gouvernement et le Parlement ont tout loisir chaque année de ne pas respecter. Je propose simplement d'inverser cette logique en interdisant l'adoption d'une loi de finances annuelle qui ne respecterait pas la loi de programmation. Cette super loi de programmation serait renommée « loi portant cadre financier pluriannuel ». C'est une dénomination qu'on connaît assez bien, elle fait référence au cadre financier pluriannuel européen. Ce cadre, je le rappelle, mes chers Collègues, fixe pour l'Union européenne des plafonds de dépenses et prévoit des mécanismes d'ajustement annuels. La crise sanitaire l'a montré : un consensus politique permet tout à fait de s'affranchir du cadre.


Renforcer la programmation des finances publiques, c'est surtout une mesure de bon sens. Et nos concitoyens ont besoin de beaucoup de bon sens. Il s'agit de graver l'engagement au moment où l'ambition est la plus élevée. Le Rapporteur général nous le démontre régulièrement. Chaque année, les lois de finances s'écartent un peu plus de la trajectoire qui est prévue en loi de programmation. L'adoption d'une telle loi cadre aurait trois principaux effets. Le premier serait de contraindre les écarts par rapport à la trajectoire prévue. Le deuxième découle directement du premier : restreindre les débats annuels aux périmètres fixés par la loi cadre. Le troisième effet est une exigence qui résulte des deux premiers : améliorer les prévisions macroéconomiques.


Ces effets ne sont pas nécessairement souhaitables per se, mais ils ont leur vertu pour faire face à la triple impasse que j'ai décrite. Ce ne sont en quelque sorte pas véritablement des objectifs, mais davantage des expédients.


En commission, plusieurs questions ont été soulevées auxquelles je tiens à apporter quelques éléments de réponse. Concernant les marges de manœuvre prévues par le texte, je l'ai dit, tout cadre implique une forme de rigidité. La condamner, c'est refuser le principe même d'un cadre. Nous assumons donc très clairement le fait d'appeler à davantage de rigidité. Il faut bien sûr pouvoir ajuster le cadre à une situation exceptionnelle et imprévue. Et lors de mes échanges avec des économistes, des hauts fonctionnaires, des professeurs de droit public, cette question s'est évidemment avérée centrale.


Le principal problème, c'est de savoir décider qui peut déterminer et par quel processus qu'une situation doit être qualifiée de situation exceptionnelle et, partant, qu'elle puisse appeler des mesures exceptionnelles dérogatoires. Faut-il s'en remettre à des experts ? Faut-il s'en remettre à des organismes indépendants, comme par exemple le Haut Conseil des finances publiques ? L'hypothèse est séduisante mais elle pose un sérieux problème de légitimité démocratique. C'est pourquoi j'ai privilégié l'option d'un consensus politique en retenant le mécanisme d'un vote à la majorité qualifiée. Ainsi, en 2020, au plus fort de la crise sanitaire, des budgets rectificatifs ont bien été adoptés en commission mixte paritaire. Autrement dit, c'est bien par un consensus politique que la situation économique a été reconnue comme exceptionnelle et que des mesures exceptionnelles ont été prises pour y répondre.


Il a également été dit que ce texte conduirait à renforcer un prétendu "gouvernement des juges" en conférant au Conseil Constitutionnel la faculté de juger la conformité des lois de finances annuelles avec la loi cadre. Alors, je voulais simplement rappeler que le Conseil Constitutionnel contrôle déjà la constitutionnalité des lois de finances. Son rôle ne changerait donc pas. En revanche, c'est son jugement qui serait davantage éclairé par l'avis et l'expertise du Haut Conseil des Finances publiques. Et c'est tout l'intérêt d'inscrire cet organisme dans notre loi fondamentale.


Enfin, Messieurs les Rapporteurs, vous aviez soulevé des points d'indétermination du texte qui, je l'avoue, n'avaient pas été relevés auparavant, et je vous en remercie. Je salue votre travail rigoureux d'analyse et d'investigation. Mais je regrette vivement que vous n'ayez pas voulu amender ce texte. Lors de nos échanges, vous aviez évoqué plusieurs pistes pertinentes, mais vous ne les avez pas vraiment investiguées. La vérité, c'est que vous rejetez le principe même de ce texte car, normalement, là où il y a une volonté, vous le savez tous, mes chers Collègues, il y a un chemin.


Je n'ai pas la prétention d'apporter aujourd'hui un remède miracle contre le mal, non plus chronique mais structurel, dont souffre la France. D'ailleurs, je m'en suis remise aux travaux déjà accomplis par ceux qui nous ont précédés. Ma proposition reprend ainsi les écritures et l'architecture du projet de loi constitutionnel de 2011 qui n'est pas allé à son terme. Ne rien faire ou faire comme si, un beau jour, bientôt, comme dans un conte de fées, la tendance lourde qui conduit à la dégradation de nos comptes publics allait soudain s'inverser par un heureux retournement de tendance, une telle attitude me semble irresponsable. Renoncer à un pilotage sur le long terme, c'est accepter d'être gouverné par le court terme. C'est préférer, pour nos concitoyens, la fragilité à la robustesse. Sans inverser ce rapport entre annualité et pluriannualité, nous finirons toujours par être rattrapés par nos propres démons que nous devons aujourd'hui, mes chers Collègues, regarder en face.

 

Interventions au Sénat

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