03 août 2022
Déclaration du Gouvernement suivie d'un débat en application de l'article 50-1 de la Constitution sur le Projet de programme de stabilité pour 2022 - 2027
Madame la Présidente,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président de la Commission,
Monsieur le Rapport général,
Mes Chers Collègues,
On a beaucoup reproché au Gouvernement d’avoir tardé à publier son programme de stabilité. C’est une réalité à laquelle il semble difficile de s’opposer, bien qu’on en comprenne facilement les causes. Mais là n’est pas l’essentiel, et ce pour au moins deux raisons.
La première, c’est que le calendrier électoral a percuté la procédure européenne. Certes, le Gouvernement a bénéficié d’une certaine forme de stabilité, notamment à Bercy, ce qui aurait pu lui permettre d’être dans les temps. Mais on aurait tort d’ignorer ce qui s’est passé depuis avril dernier.
La majorité présidentielle est désormais prise en tenaille par deux mâchoires populistes, l’une à l’extrême droite, l’autre à l’extrême gauche. Cette configuration commande la prudence.
La seconde raison, Mes Chers Collègues, c’est qu’au fond, nous connaissions déjà la teneur de ce programme de stabilité. C’est une question de mathématique : deux points ne peuvent être reliés que par une seule droite.
Autrement dit, connaissant la situation actuelle de nos comptes, soit le point de départ, et connaissant le point d’arrivée fixé par le Gouvernement, d’un déficit inférieur à 3% du PIB en 2027, il n’y a guère qu’une seule trajectoire.
À mes yeux, les débats se cristallisent autour d’un seul mot : la dette. Mais ce mot, Mes Chers Collègues, peut se décliner en plusieurs épithètes. Je vous en propose 4 : il y a notre dette publique, il y a notre dette européenne, il y a la dette privée et il y a la dette climatique.
Notre dette publique, d’abord. C’est l’indicateur majeur et incontournable, celui qui résume le mieux, non pas simplement la gestion actuelle des comptes, mais aussi – et pour beaucoup – la gestion passée. C’est aussi le chiffre qui nous annonce la quantité d’efforts à fournir dans le futur, que ce soit par la réduction des dépenses ou par les hausses d’impôts.
Car il faudra bien ramener les dépenses en-deçà des recettes si nous voulons éviter la banqueroute. Ce n’est pas là une obsession « austéritaire », mais une question de bon sens. L’histoire a montré que les pays qui ne tiennent pas leurs comptes, sont rarement ceux qui financent les politiques sociales ou environnementales les plus ambitieuses.
Ce problème n’est pas nouveau, loin s’en faut. Sur ce point, le Rapporteur général a raison de nous rappeler, avec une constance irréprochable, à la comparaison avec l’Allemagne. Plus de 40 points de PIB séparent nos taux d’endettement.
Ce décrochage s’explique par une succession d’erreurs politiques et stratégiques passées notamment. Par une funeste inspiration, la France a décidé de sacrifier son industrie sur l’autel des services. Elle a laissé filer ses usines à l’étranger, et avec elles les emplois qualifiés qu’elles offraient.
Résultats : notre balance commerciale, comme notre solde budgétaire, sont devenus structurellement déficitaires. Nous avons réuni les conditions d’un endettement fatidique.
Avec la pandémie, notre dette publique a explosé. Le quoi qu'il en coûte, choix tactique rationnel en temps de taux bas, risque aujourd'hui de créer un précédent. Il faut vite en tourner la page. Il faut bien sûr réduire les mesures de soutien temporaire, mais aussi s’attaquer au déficit structurel.
Or à cet égard, Monsieur le Ministre, je suis au regret de voir que la trajectoire présentée dans le programme n’est pas très rassurante. Car si le déficit public doit être ramené sous la barre des 3% du PIB d’ici 2027, le taux d’endettement, lui, se stabiliserait autour de 113% du PIB. Et il est peu probable que la réalité soit finalement plus favorable que ce que ce que prévoit le programme.
Mais cet indicateur, qui sert bien souvent de boussole au pilotage des finances publiques, masque deux autres types d’endettement, qui n’apparaissent pas dans ce ratio.
Au niveau européen, d’abord. À la faveur de la crise sanitaire – si l’on peut parler ainsi – et grâce à l’engagement de la France, l’Union européenne s’est, pour la première fois, endettée elle-même.
Cet endettement supra-étatique constitue une avancée majeure pour la construction européenne. Or, le Premier Président de la Cour des comptes nous l’a affirmé en Commission des Finances : le remboursement des subventions versées à notre pays dans ce cadre, qui s'élèvent à 75 milliards d'euros, n'entre pas dans le calcul de notre ratio de dette publique.
Autrement dit : notre dette serait encore plus élevée, si nous y intégrions tous les crédits avec lesquels nous avons financé notre plan de relance.
Il est une autre dette qui n’apparaît pas dans nos comptes et qui a de quoi inquiéter. Cette dette, c’est la dette privée, qui concerne à la fois les entreprises mais aussi les ménages. Elle avoisine les 150% du PIB, bien au-delà de la dette publique. C’est colossal.
En la matière, la France a le taux d’endettement privé le plus élevé des grands pays européens. Le diagnostic est évident : nous sommes plus proches de la Grèce que de l’Allemagne, bien malheureusement.
Ce ratio d’endettement privé a ses fondements. Les dispositifs d’urgence mis en œuvre pendant la crise, ainsi que le contexte de taux négatifs, ont encouragé les entreprises à s'endetter massivement, pour recruter et investir.
Les effets positifs sont donc nombreux. Mais le risque existe que nous ayons massivement financé des entreprises, notamment dans les secteurs des nouvelles technologies, dont les valorisations ont été artificiellement gonflées.
Pour parachever ce panorama peu réjouissant, j’évoque la dernière facette de notre endettement : la dette climatique. C'est la plus grande urgence, celle qui ne menace pas seulement notre pays, mais la planète entière.
Cette dette n'apparaît pas non plus dans les comptes, elle ravage nos forêts, elle tarit nos ressources, en eau notamment. Or, Monsieur le Ministre, Mes Chers Collègues, un pays ravagé par les flammes et en stress hydrique n’est pas gouvernable. Ce défi suppose des investissements massifs, dans un contexte très contraint.
L’immense défi de la transition nous impose de changer, non pas de logiciel, mais de système d’exploitation pour engager une stratégie ambitieuse de désendettement. Au nom du Groupe Les Indépendants, je voudrais vous proposer aujourd’hui 2 leviers d’action, qui correspondent à 2 atouts français et européens.
Le premier levier, le plus opérationnel, c'est de mobiliser l'épargne privée, qui n'a jamais été aussi imposante, même si on la laisse, peu à peu, se faire ronger par l’inflation. En mars dernier, la Banque de France estimait cette épargne à 175 milliards d’euros, je vous le rappelle ; à mettre en regard des 100 milliards consacrés au Plan de relance, financés par la dette.
C’est ce levier que notre Groupe avait proposé de mobiliser, en suggérant, via une proposition de loi inscrite dans notre espace réservé, d’instaurer un livret d’épargne garantie, pour drainer cette épargne privée vers les territoires.
L’objectif : réaliser des investissements ambitieux au profit de la transition écologique et des infrastructures locales.
Le second levier, moins immédiat mais plus structurant, c'est de mieux valoriser les externalités positives et négatives, pour mieux orienter les décisions des acteurs économiques, sous la contrainte du changement climatique.
Je veux, à cet égard, prendre un exemple, dont l’actualité malheureusement s’est tristement imposée dans le débat public. Il s’agit, Mes Chers Collègues, de l’exemple de nos forêts. Aujourd'hui, la valeur économique et sociale de nos forêts se résume à la production de bois, comme si l’arbre n’était utile qu’une fois abattu. Cela n’est absolument pas satisfaisant.
Car, quand la forêt brûle, ce n'est pas seulement un manque à gagner, c'est un atout en moins pour la transition écologique. Je vous proposerai prochainement un dispositif pour prendre en compte les externalités positives de la forêt – puits de carbone, agent de la biodiversité, filtre à eau –, et engager ainsi ce changement de mode de pensée que j’appelle de mes vœux.
En conclusion, Mes Chers Collègues, Monsieur le Ministre, il est urgent de réduire notre dette, qu’elle soit publique, privée ou écologique. Ce programme de stabilité va dans le bon sens. Espérons que le rythme soit tenu.