3 juin 2024
Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France - Voir le dossier législatif
Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Madame et Monsieur les Rapporteurs,
Mes chers Collègues,
L'Union européenne, ça a été rappelé, est un projet de paix. C'est un projet qui s'est bâti sur un continent dévasté par deux guerres mondiales. La France et ses partenaires ont fait le choix du commerce et des échanges pour repousser les conflits. Ce faisant, nous avons été tentés de ne pas voir que la compétition entre les États se poursuivait.
Le spectre des actions hostiles est large entre la paix et la déclaration de guerre. Aujourd'hui, nos adversaires prennent soin de ne pas franchir le seuil de la conflictualité afin de ne pas s'exposer à des représailles directes.
La Russie, la Chine et l'Iran sont trois puissances hostiles à la démocratie libérale. Elles pratiquent depuis plusieurs siècles des stratégies indirectes. Parce qu'elle est la patrie des Droits de l'Homme, parce qu'elle est membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU et parce qu'elle tient tout particulièrement à son indépendance et à sa souveraineté, la France est une cible de choix.
Alors même que nos soldats sont déployés dans de nombreuses opérations de maintien de la paix et de lutte contre le terrorisme, nous apparaissons singulièrement démunis sur le théâtre de la guerre informationnelle, cette néo-guerre permanente qui abolit la frontière paix/guerre.
Il aura fallu attendre 2018, suite aux graves ingérences dans l'élection présidentielle de 2017, pour que la lutte contre la manipulation de l'information soit renforcée dans notre pays. La création de VIGINUM est encore plus récente, cela a été rappelé.
Les démocraties sont particulièrement sensibles aux attaques informationnelles. La souveraineté nationale appartient au peuple, qui est donc très exposé aux actions d'influence et aux manipulations de l'information. Nous le voyons, ça a été rappelé, chaque jour dans la guerre en Ukraine, dans le conflit qui oppose Israël au Hamas, mais aussi dans les émeutes en Nouvelle-Calédonie.
EUROMORE, la nouvelle arme de guerre informationnelle russe, apparue il y a quelques jours, nous rappelle, après l'interdiction de Russia Today et de Spoutnik, que l'hydre empoisonné est malheureusement éternelle.
Ces actions ne visent pas que nos concitoyens, elles ciblent aussi les décideurs publics et le débat public lui-même. Voilà tout l'intérêt de la proposition de loi qui fait l'objet d'un accord en commission mix paritaire.
Les personnes agissant pour le compte d'un mandant étranger, dans le but d'influer sur la décision publique, seront astreintes à des obligations déclaratives. Cette plus grande transparence nous permettra de détecter les stratégies mises en œuvre par des puissances étrangères. Le cas échéant, les pouvoirs publics seront en mesure d'entraver les ingérences décelées.
Au-delà de ces obligations déclaratives, le texte prévoit une expérimentation de 4 ans au cours desquels nos services de renseignement seront autorisés à mettre en œuvre des traitements automatisés de données. Cela permettra encore de mieux repérer et de mieux entraver les actions d'ingérence étrangère et plus généralement toutes les menaces qui pèsent sur notre défense nationale.
Le texte final reprend plusieurs mesures intégrées par le Sénat et je m'en félicite. Parmi elles, l'alourdissement des sanctions pénales des infractions commises pour le compte d'un mandant étranger. Avec le gel des avoirs, il s'agit sans doute là de l'une des meilleures réponses aux ingérences contre notre pays.
Nous avons tardé à prendre conscience que l'influence qui se transforme en ingérence doit être punie. La proposition de loi que nous nous apprêtons à voter constitue l'une des étapes d'un réveil nécessaire. D'autres sont attendues.
Le volet économique de l'ingérence étrangère devra encore, mes chers Collègues, faire l'objet de mesures spécifiques. Surtout si nous souhaitons conserver notre souveraineté. C'est notamment le cas avec nos données.
Si je regrette que nous ne disposions pas d'un cloud français souverain, voire d'un cloud européen souverain, je me console juste un peu en pensant que nous recourons à celui de nos alliés. Mais ce n'est qu'un pis-aller.
Désormais, et grâce à notre collègue Lemoyne, nous aurons chaque année un débat sur le contrôle des investissements étrangers en France. C'est un instrument de contrôle majeur que nous devons apprendre à nous approprier.
La France est en retard, mais cette proposition de loi incarne une dynamique nouvelle. Nous serons plus attentifs, plus intransigeants quant aux ingérences, afin de mieux protéger nos concitoyens et notre souveraineté.
Nous devons également avancer au sein de l'Union européenne sur ces questions qui sont hautement stratégiques pour nos démocraties. Le Royaume-Uni, l'Australie et le Canada ont ou vont légiférer en ce sens. Cela témoigne du climat de notre époque. Rappelons que la loi américaine contre les ingérences étrangères date de 1938, veille de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre froide qui s'en est suivie.
Nous entrons, mes chers Collègues, dans une période de confrontation accrue.
Avec cette loi, nous contribuons à nous doter des moyens de ne pas la subir, tout en rappelant que le meilleur bouclier, c'est celui des forces morales au sein d'une démocratie vigoureuse.
Je vous remercie.